Après s’être habitué au confort apporté par le numérique, il est difficile de revenir en arrière. Visibilité instantanée des images, capacité de prise de vue presque illimité, format RAW permettant un traitement infini… Nombre de photographes pensent que la technologie numérique a relégué le film celluloïde au musée des procédés anciens. Pour ma part, je ne pense pas qu’une technologie chasse l’autre, mais que cette évolution redéfinit les champs d’utilisation du numérique et de l’argentique. Il n’est donc pas incongru de travailler avec les deux technologies ; je le fait d’ailleurs avec plaisir.
En ceci, je trouve que la chaîne numérique s’adapte formidablement bien aux contraintes du reportage en offrant la possibilité de shooter juste presque à tous les coups, de transmettre rapidement les images, de développer ses photos de plusieurs façon et de les archiver plus facilement que des films. Formidable ! Mais les photographes ne se font-ils pas piéger par le matériel ? N’assistons-nous pas à la standardisation d’un acte créatif se transformant en production industrielle ?
Normalisation
Shooter juste à tous les coups… Quelque chose me gêne un peu dans tout ça.
D’abord, les photos sont presque toujours bonnes. Enfin, je veux dire par là qu’elles correspondent presque toujours au standard technologique de la bonne photo : nettes, bien exposées… Chaque écart est contraint dans la norme. Il suffit de faire un tour sur les forums photo ou sur des banques d’images comme Flickr pour s’en rendre compte : les photos sont techniquement toutes les mêmes. Mais je remarque aussi qu’elles sont presque invariablement vides de sens ; l’objet de l’admiration des spectateurs pour une image tient désormais en grande majorité dans la maîtrise technique de l’auteur.
Cette renormalisation de l’esthétique sur une échelle ridiculement courte et sur des canons non plus symboliques mais technologiques, entraîne, à mon sens, un glissement des valeurs esthétiques vers le produit technologique d’un ensemble capteur/microprocesseur/logiciel de traitement. Mais surtout, elle induit un sentiment de maîtrise, de puissance de la part des opérateurs qui les conduit à techniciser la photographie à l’extrême et à se sentir obligé d’entrer dans une logique de contrôle total de « l’outil de production » (l’évolution du langage est révélatrice en ce sens au travers de termes comme « workflow » [flux de travail] au lieu de « développement », « tirage », révélation »…). En ce sens, le « comportement numérique » des photographes est en train de tuer, non pas l’argentique, mais l’art de l’accident.
La poésie de l’accident
Une anecdote pour commencer : une photographie comme celle du débarquement allié par Robert Capa aurait-elle eu le même impact sans accident de séchage ? Nous ne le saurons probablement jamais, mais c’est un accident qui l’a fait entrer dans l’histoire. Une chose est sûre cependant : jamais cet « heureux » accident n’aurait existé si Capa avait suivi un workflow numérique standard car aucun éditeur de logiciel de traitement photographique n’a prévu qu’un événement inattendu puisse survenir durant le flux de production.
Or, l’accident c’est la vie ; c’est le détail qui sublime une composition plate ; c’est ce monde de l’incertitude qui étonne, émerveille ou déçoit. C’est par lui qu’on tremble à l’idée du ratage ou qu’on espère un résultat sublimé. En tout cas, il provoque toujours une attente fébrile. C’est la magie de pouvoir flirter avec la perte de contrôle à toutes les étapes du processus de création de la photographie. C’est l’élément incontrôlable, cette surprise, qui peut bouleverser le sens d’une image au gré du hasard.
Malheureusement, une peur irraisonnée s’abat sur ce monde. Désormais, il faut provoquer l’accident. C’est l’acte volontaire de ne pas tout à fait viser comme il faudrait, de ne pas tout à fait exposer selon les indications de la cellule ou d’appliquer des filtres imitant le rendu et le grain des films argentiques qui rouvre la voie de l’accident, de l’inattendu. Car, quelque part, la profusion de ces filtres téléchargeables sur le Net montre que cette maîtrise et ce rendu lisse et trop parfait ne convient pas à grand monde. Mais tout cela sent le frelaté.
En effet, l’accident photographique n’est à mon sens pas le seul produit de l’aléa technique. Il s’agit aussi d’une manière d’aborder la photographie elle-même. Le photographe ayant intériorisé l’accident se met lui-même en condition d’accident de prise de vue : son placement dans la scène, son regard, le moment précis du déclenchement. C’est toute une prise de risque qui intervient et que je retrouve de moins en moins dans les images contemporaines.
Distanciation entre photographe et sujet
Dans cette absence de prise de risque, j’assiste de plus en plus à un glissement du photographe de la position d’acteur ou tout du moins de participant à la scène à une position de spectateur. Peur d’abîmer le matériel si chèrement acquis (à gamme égale, les prix des boîtiers ont plus que doublé lors du passage au numérique) ? Je pense que ce phénomène existe, mais à la marge seulement, moins même que la fascination que provoque le « beau jouet » sur le photographe et qui le détourne de son sujet.
En fait, je crois que ce qui provoque cette absence d’implication, de relation entre le photographe et son sujet, c’est tout simplement que la technique prend un tel espace dans la scène que l’opérateur se voit reléguer derrière une frontière matérielle (la taille du matériel) et mentale : la technique propose tellement de possibilités de post-production que les photographes ne « sentent » plus un sujet en couleur ou noir et blanc (puisque tout est modifiable), ne « sentent » plus la lumière (puisqu’il n’y plus que très peu de risque d’erreur) et ses subtilités, et donc ne contextualisent plus la scène. Combien de photographes sont encore capables de « sentir » qu’ils ont réalisé une bonne image sans regarder leur écran ? Combien de photographes voient dans le viseur l’image terminée (développée et tirée) avant même de déclencher ? Combien de photographes s’impliquent réellement dans la relation photographe/sujet ? Combien de photographe cela intéresse-t-il d’ailleurs puisqu’il suffit de shooter, de regarder la forme des courbes de couleur et la tête de la photo sur l’écran pour savoir si l’image est bonne, puis de tout refaire sur ordinateur ?
Problème, l’image est bonne par rapport à quoi ? Un histogramme peut-il juger de la valeur symbolique ou émotionnelle d’une photographie.
Il est pourtant très simple de réaliser des images numériques tout aussi porteuses de sens que celles réalisées en argentique par des auteurs de renom. Il suffirait juste que les photographes oublient (mais oublient vraiment !) la technique. Arrêter de fanfaronner avec son Canikonax à 8.000 euros autour du cou, arrêter de vouloir accéder à tout prix aux données techniques de chaque prise de vue ; faire comme si la technique ne pouvais rien après la prise de vue. Mais voilà, un autre problème survient : faire comme… L’esprit peut-il réellement se mettre en condition ? Il faut une sacrée discipline personnelle pour résister à tous les outils de confort.
Heureusement, beaucoup de photographes qui ont mené leur carrière en argentique continuent de penser la photo de la même manière en numérique. Mais ceux qui n’ont jamais « grillé un film » ? Sont-ils la génération de photographes producteurs d’images conformes aux normes des constructeurs et s’émerveillant de la moindre image un tant soit peu porteuse d’humanité ?
Avant toute chose, voici les chiffres de participation lors de mon passage :
1600 dossiers de candidature ;
640 candidats convoqués aux épreuves écrites ;
200 candidats convoqués aux épreuves orales ;
29 étudiants retenus.
Voici le contenu des épreuves écrites :
Résumé de film (45 minutes) ;
Français (30 minutes partagées entre la dictée et le reste) ;
Actualité et culture générale (30 minutes) ;
Projet d’enquête (30 minutes).
Le concours se déroule selon un rythme soutenu. Esprit de synthèse et rapidité de réflexion et d’exécution sont les bienvenus.
L’épreuve écrite
Résumé de film. Cela semble être une habitude. Chaque année, le concours débute par cette épreuve destinée, me semble-t-il, à détendre l’atmosphère. En 2005, nous avons donc eu droit à un reportage de Streap Tease intitulé « Il sentait bon le sable chaud », réalisé par André François.
Malgré le caractère léger de l’épreuve et les rires qui résonnent dans l’amphi, ne vous laissez pas surprendre. Il est impératif de prendre le plus de notes possible (dans le noir, snif !) afin de remplir les 15 lignes (j’ai dit 15, pas 13 ni 17 !). Comme le nombre de copies à corriger est gigantesque au regard du nombre de correcteurs (ce sont les profs qui corrigent et ils doivent parallèlement s’occuper de la promo de première année ainsi que des mémoires de fin d’étude des deuxième année), ce sont les copies vraiment originales qui sortent du lot. Pour ma part, j’avais tourné la querelle entre les deux protagonistes en dérision, le tout dans un style très parlé tout en faisant attention à rester dans le sujet, à savoir : un résumé style journal télé (préférez quand-même le style Télérama au style Télé Z).
L’épreuve de Français. Elle se compose de plusieurs modules :
La dictée : Moins compliquée que la dictée de Pivot, elle comporte tout de même quelques difficultés (tirets, majuscules, mots pas très courants). Le meilleur moyen de passer à travers les gouttes est de potasser les annales. Comme la structure et le registre linguistique ne changent pas fondamentalement d’une année à l’autre, arriver avec ce bagage est précieux.
Le texte à corriger : cinq fautes à trouver dans un texte connu d’une dizaine de lignes. Classique. Il faut être attentif et rapide.
Des verbes à conjuguer ;
Des mots à définir ;
Des nombres à écrire en toutes lettres ;
Des expressions à corriger. Je salue, que dis-je, j’applaudis l’initiative ! Qu’il est exaspérant de trouver sous la plume d’un journaliste des expressions fausses comme « l’enquête a mis à jour… » ou l’usage intensif des pléonasmes ! Mais on tombe aussi sur des accords pernicieux (COD en anté-position, etc.). A vos Bescherelles !
Le questionnaire d’actualité et de culture générale. Une trentaine de questions à traiter en 30 minutes. Le calcul est vite fait : il faut être rapide et concentré. Ne pas bloquer et passer -bondir !- d’une question à l’autre, quitte à revenir sur les difficultés à la fin. Il ne faut pas compter pouvoir répondre à tout car les questions précises touchent tous les domaines.
Le questionnaire n’est pourtant pas pervers : si vous avez régulièrement suivi l’actualité des derniers mois, vous pourrez répondre à la majorité des questions. Attention à l’orthographe !
Le projet d’enquête. C’est l’épreuve qui plante tout le monde. Ici, on ne demande pas d’écrire l’article, mais de construire le plan de l’article ainsi que les démarches associées.
Typiquement : le titre, l’objectif de l’enquête (vous, journaliste, qu’allez-vous traiter ?), les parties de votre article (titre de l’intertitre puis vos démarches, qui allez-vous interviewer et pourquoi ?), un encadré ? Si oui, indiquez le titre, pourquoi est-il pertinent, que va-t-on traiter dans cet encadré, etc. Là encore il faut être rapide et placer ses connaissances judicieusement. Pas de méprise : on ne vous demande pas de rédiger l’article.
REVISIONS
J’ai débuté les révisions en janvier 2005. De janvier à mai, de 9 heures à 19 heures, je n’ai rien fait d’autre.
J’ai intensément utilisé les annales des concours précédents, le Bescherelle et j’ai noté et appris la conjugaison de tous les nouveaux mots que je rencontrais.
Pour l’actualité, je consignais scrupuleusement les actus au jour le jour le long d’une échelle de temps sur des feuilles bristol, le tout séparé par domaine (actu régionale, nationale, internationale, économique, sportive, artistique, technologique, actu des médias, actu de la région bordelaise (eh oui), etc.).
Parallèlement, dès qu’un sujet semblait prendre de l’importance, je remplissais des fiches exhaustives sur le sujet. Par exemple, en 2005, j’ai approfondi les sujets suivants, de mémoire : référendum sur le traité constitutionnel (par extension le fonctionnement des instances européennes), l’affaire Renault avec l’arrivée de Carlos Ghosn, le conflit isréalo-palestinien (chronologie depuis le début XXe, courants et personnalités politiques, placer les villes principales sur une carte muette, nommer les pays alentours, etc.), le conflit irakien (pareil que pour le conflit israélo-palestinien), le Soudan, etc.
Pour les actus, je suis remonté de manière large jusqu’à juin 2004, et de manière fouillée depuis janvier 2005.
Pour le projet d’enquête, le sujet est aléatoire, mais une chose est importante tout de même : connaître les structures administratives étatiques, régionales, départementales et communales (Ddass, Drac, CG… qui fait quoi et quel secteur dépend de quelle administration). Elles sont vos principales interlocutrices ; vous devrez donc les mentionner dans le projet. Un conseil : prenez votre ville/département/région pour modèles et visitez leurs sites web afin d’assimiler leurs organigramme. Lisez aussi votre quotidien régional en regardant quels interlocuteurs les journalistes font intervenir en fonction du sujet.
Tout cela prend du temps et doit être réactualisé en permanence.
Vous pouvez réviser sans vous ruiner puisque tout ce dont vous avez besoin est en ligne gratuitement. Je n’ai pas dépensé un kopeck en révision.
Ensuite, ne vous arrêtez pas à la lecture du Monde, de Libé et des deux ou trois autres parutions que tout le monde apprend par cœur. Pourquoi ? Parce qu’en lisant la même chose que tout le monde, vous vous formatez avant même d’avoir commencé. Vous avez le droit d’avoir un regard transversal, critique et décalé des choses, et de le défendre. Ça fait de vous quelqu’un d’original, et donc, d’intéressant. A l’oral, c’est pas mal vu d’avoir un peu plus de consistance qu’une éponge remplie de contenus « officiels »… Et comme nous l’a suffisamment répété notre prof d’écriture, un journaliste doit apporter quelque chose de nouveau et d’intéressant (ce à quoi j’ajouterais qu’il doit rendre intéressantes les choses importantes). Si vous faites plus que répéter ce que tout le monde sait déjà, le jury vous en sera reconnaissant, j’en suis sûr.
L’épreuve orale
L’examen oral se déroule face à deux profs. Il est primordial car, si vous faites bonne impression, les profs peuvent tenter de vous rattraper avec une note très forte si vous avez obtenu une note moyenne à l’écrit. Dans la promo, les notes à l’oral tournaient autour de 28-29/30.
L’épreuve dure 30 minutes. On a 15 jours pour s’y préparer. Au menu :
Motivation ;
Point sur les expériences pré-professionnelles ;
Questions d’actualité et de culture générale;
Soutenance d’un sujet libre pendant 5 minutes (attention au timing !).
Nouveauté 2009 : la présentation et la soutenance d’un support visuel choisi librement. Je ne connais pas cette épreuve.
La motivation. Il ne faut pas sous-estimer « l’épreuve de la motivation ». Je suis sûr que vous savez pourquoi vous voulez être journaliste, mais saurez-vous l’expliquer ? C’est ce qui m’est arrivé. J’ai passé une bonne partie de l’entretien à expliquer ce qu’était le journalisme pour moi, ce que j’en attendait, ce que j’attendais de l’enseignement de l’école, etc. Il ne faut surtout pas chercher à plaire au jury. Il faut y aller de manière franche et naturelle. C’est aussi votre caractère que le jury juge. Vous pliez-vous à l’autorité ou défendez-vous vos idées ?
Les expériences pré-professionnelles. Autant vous dire que si vous n’en avez pas, vous n’irez même pas aux épreuves écrites. Etant donné ma profession antérieure (photographe de presse), nous avons essentiellement parlé de ça.
Questions d’actualité et de culture générale. Je ne pourrai pas vous en parler car le jury ne m’a posé aucune question d’actu. Je sais juste que certains collègues se sont vu poser des questions abordant essentiellement l’actu des médias et l’actu de leur région (les profs ont une connaissance de l’actu régionale assez impressionnante). Par exemple, si vous avez travaillé dans une structure appelée « Léo Lagrange », que pouvez-vous raconter sur ce brave homme ? Bref, êtes-vous curieux ?
Le sujet libre. C’est l’essentiel de la préparation. Pendant 5 minutes (ni plus, ni moins ; le jury vous coupe dès que l’aiguille du chrono dépasse, et ça fait pas terrible de faire moins), vous allez parler d’un sujet sans aucune intervention du jury. Ils pourront vous poser des questions sur le sujet ou engager un mini-débat après. Je me souviens avoir choisi un sujet traitant de la situation géopolitique du Vénézuela.
Pour ce faire, j’ai appris par cœur l’histoire du Vénézuela depuis la révolution bolivarienne jusqu’aux plus récents événements (jusqu’à deux jours avant l’oral environ). J’ai aussi appris la géographie complète de l’Amérique du Sud ainsi que les noms des Présidents/Premiers ministres de tous les pays qui la compose. Je me suis aussi informé sur l’actualité politique et sociale de certains pays stratégiques comme la Bolivie, le Brésil ou le Vénézuela. Pareil pour les tensions politiques du Vénézuela et les conséquences de la politique de Chavez sur le positionnement de la région dans la sphère économique mondiale.
Ça a l’air compliqué raconté comme ça, mais ça ne l’est pas. Ensuite, j’ai élaboré un sujet qui, à l’oral, faisait 17 minutes. Une fois raccourci à 5 minutes pile-poil, j’avais de la réserve pour répondre aux questions potentielles. J’ai passé les derniers jours à soutenir mon sujet devant le miroir, jusqu’à m’imprégner du sujet et que ma diction devienne parfaitement naturelle.
Ponctualité, diction naturelle, capacité de relance… De la radio quoi ! Cela dit, vous pouvez parler de n’importe quoi sur le ton qui vous plait. Seules comptent votre capacité à convaincre le jury et l’originalité du sujet.
J’ai ressenti cette épreuve orale comme une discussion, comme si, loin de me juger, le jury s’intéressait réellement à ce que j’avais à dire. J’y allais dans cet état d’esprit ; c’est comme ça que ça s’est passé.
Et puis…
Si j’avais un conseil à vous donner si vous êtes pris : profitez de vos deux années, éclatez-vous, expérimentez à fond, profitez du matos (il y a tout ce qu’il faut) et des profs (il y a tout ce qu’il faut aussi). Comme disait notre ancien directeur, cette école est une auberge espagnole : vous en retirerez un enseignement à hauteur de ce que vous y apporterez.
J’ai passé deux très bonnes années dans cette école avec son plafond à la Harry Potter. J’espère qu’il en sera de même pour vous !
Et en bonus track…
… le jubilatiore petit sujet de nos amis de première année (et première promo Ijba) qui ont suivi les épreuves du concours 2007. « Reportage » réalisé dans le cadre de la session multimédia.
L’exposition consacrée au fondateur de l’agence Sipa retrace les « années Göskin » au travers de grands fait d’actualité. Albanie, mai 1968 à Paris, Djibouti en 1967… J’ai redécouvert avec plaisir la photo d’actualité telle qu’on devait la concevoir pendant son âge d’or. Pour moi, Sipa, c’est avant tout l’agence du grand reportage, agence indissociable d’agences comme Gamma et Sygma. Indissociables dans la gloire comme dans la chute ; pour faire face à l’impératif de rentabilité, Sipa a fait fondre son pôle « actualité » au profit du bureau « people ». Et Sygma fût racheté par Corbis, splendeur du modèle Mc Do appliqué à la photo.
Peut-être est-ce dû à mon habitude de l’image, mais je ne trouve pas le sens du cadrage ou l’humanité de Göskin Sipahioglu (vantés par la plaquette de la MEP) si flagrants que ça. Peut-être est-ce la présentation de l’exposition qui veut ça. Par contre, le recul historique prouve à lui seul le talent du photographe à sentir les sujets et à se trouver là où il faut quand il le faut. Magnifique leçon de journalisme à l’état pur. L’actualité ne se donne pas, elle se mérite.
Petite faute de goût cependant : il n’était à mon sens pas utile de faire un étalage massif des cartes de presse, accréditations et autres visas de l’auteur. Cela n’apporte rien de plus à l’exposition, si ce n’est le sentiment que Göskin Sipahioglu s’aime bien et veut le montrer. Autant les premières cartes de presse et accréditations pour des évènements historiques sont les bienvenues, autant les cartes de presse récentes (ayant très peu servi semble-t-il) sont le petit détail de trop qui fait basculer le tout dans le narcissisme.
Sabine Weiss
Voici une exposition qui fera taire les contempteurs de l’autofocus à post-combustion couplé à la mesure 3D matricielo-numérico-bionique seul capable de produire une image de qualité, et encore, en manifestation, guerre, carnaval, etc. Ici, on se fout du matériel, du pourquoi du comment, de toutes ces choses qui servent de cache-misère à l’incapacité de créer quelque-chose de beau. Sabine Weiss s’applique à saisir l’instant dans la banalité, à raconter des histoires extraodinaires dans la grisaille des petits matins gris de la capitale. De ses images, toute la poésie du Paris des années 1950 se couche sur des tirages vintages ou modernes. J’ai une nette préférence pour le rendu des vintages.
Au fil de l’exposition, je retrouve des images qu’on croirait tout droit sorties du livre de photos de Robert Doisneau « Les doigts pleins d’encre« . Par moment, on croirait même que Weiss et Doisneau ont photographié les mêmes enfants à quelques minutes d’intervalle.
Sabine Weiss a aussi voyagé. Et c’est en Inde que ses magnifiques lumières m’ont furieusement rappelées les fabuleuses ambiances de Sebastião Salgado. Ces mêmes lumières qui m’avaient envouté alors que je débutais la photo.
Mutations II / Moving Stills
Je ne serais pas exhaustif si je ne mentionnait pas cette autre exposition hébergée au niveau -1 de la MEP. A vrai dire, je suis tombé dessus pas hasard. Organisée dans le cadre du mois de la photo, elle regroupe huit créateurs, dont les vidéos/vidéo-photos/photos-vidéos « nous invitent à dépasser les logiques territoriales afin d’explorer les frontières qui les séparent » dixit la présentation de l’expo. J’ai surtout contemplé, dubitatif, une image grossièrement définie sur laquelle j’ai cru déceler quelques mouvements sporadiques. Le procédé était exploité avec plus de brio par Méliès. Pas vraiment touché par la génialissime explosion conceptuelle lyrico-laryngo-chose des créations sponsorisées en pagaille et déjà vue mille fois, j’ai « dépassé les logiques territoriales » de la MEP, « exploré les frontières qui les séparent » de la sortie pour me retrouver sur le trottoir.
Dès 1929, elle s’installe à Paris, rencontre Man Ray et commence à graviter dans l’univers des surréalistes. Elle s’initie alors à la photographie. C’est à l’art de celle qui préfère « prendre une photo qu’en être une » qu’une exposition rétrospective est consacrée. Elle est hébergée par la galerie du Jeu de paume jusqu’au 4 janvier 2009.
Man Ray, Cocteau, Picasso… le terreau créatif est riche. Et le pari d’élever l’égérie des surréalistes à leur niveau audacieux. L’exposition hébergée au rez-de-chaussée de la galeries se découpe en 150 images et cinq temps forts de la carrière de la photographe :
les débuts de Lee Miller (1927-1932) ;
la période new-yorkaise (1932-1934) ;
les voyages des années 1930 (1934-1939) ;
la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) ;
l’après-guerre (1946-1977).
Après quelques portraits du mannequin (notamment réalisés par Edward Steichen), on aborde rapidement ses propres expérimentations. Et c’est là que j’ai commencé à douter de la nature remarquable de « L’art de Lee Miller« . Au fils des photographies, j’ai l’impression de découvrir une suite de balbutiements incertains, une personnalité qui ne s’affirme pas. Man Ray fait de la solarisation ? Hop ! Un portrait solarisé. Serait-elle écrasée par l’aura de son amant ?
Résolument optimiste, je me dis que ces images sont des éléments de compréhension qui préparent à un jaillissement artistique. Il faut juste être patient. En attendant, je remarque que Lee Miller aime beaucoup son profil gauche, pas vraiment intégrer l’humain dans ses images (sauf ses amis), et que tout ça est finalement très plat. Où donc se trouve l’inspiration des surréalistes ? Dans « La main explosée » ? Le « Nude bent forward » ? Hum… J’ai beau me creuser la tête, je ne vois dans ces photos ni l’ébullition artistique dans lequel la photographe baigne, ni l’affirmation d’une quelconque recherche personnelle. Encore moins la constance qui permettrait un épanouissement artistique. Par contre, ces images me font penser à une jet-setteuse qui s’ennuie et assiste, impuissante, à un foisonnement intellectuel qu’elle ne peut atteindre.
La période égyptienne est particulièrement révélatrice. Mariée à un riche fonctionnaire, Lee Miller s’ennuie; moi aussi. Je n’ai pas réussi à trouver l’univers onirique des paysages mentionné dans la plaquette. Je ne peux m’empêcher d’établir un parallèle stylistique avec les photographies britanniques du Grand Tour (1840-1860) exposées quelques semaines auparavant au Musée d’Orsay. Sauf que les calotypes de l’époque dégagent, eux, un réel onirisme.
Correspondante de guerre
Peut-être alors la Seconde Guerre mondiale va-t-elle révéler cette artiste ? Mais non. Je ne découvre qu’une vision éloignée, étrangère des évènements ; non pas scientifique, mais presque indifférente, superficielle. Oserais-je parler de dilettantisme ? A peine un peu d’audace sur les portraits de SS morts. Seulement voilà, si la volonté de se démarquer du point de vue dominant (qui tendait à une focalisation sur les victimes) pour se concentrer sur les bourreaux (SS morts), voire à démystifier complètement l’incarnation de la terreur (le photographe David E. Sherman lisant Mein Kampf allongé sur le canapé de Hitler), est louable, elle peut aussi tendre vers le ridicule : Lee Miller soi-même batifolant dans la baignoire de Hitler (photo 08). De son côté, Robert Capa nous livrait un témoignage tout à fait unique et John Heartfield menait bataille depuis quelques temps déjà.
Je m’interroge aussi sur le choix de Mark Haworth-Booth, le commissaire de l’exposition (par ailleurs fort bien construite), de présenter une partie des photos de guerre « dans le contexte de leur publication » (et surtout imprimées sur un panneau !) au motif qu’elles sont « horribles » et représentées avec « avec une approche esthétique« . Ne sommes-nous pas capables de faire face à ces clichés ? L’esthétisme de la guerre n’a-t-il jamais été exposé ni mis en scène sans pour autant annihiler la puissance du message ?
Pour finir, retour à Londres. Lee Miller épouse Roland Penrose en 1947 et s’installe à Farley Farm. Elle y photographie ses célèbres invités occupés à jardiner ou à des tâches ménagères. Tout ça sera publié dans Vogue. Hum… des célébrités réunies dans une ferme… Ça ne vous dit rien ?
Suffit-il de côtoyer des artistes pour en devenir un ? Certes, le bain culturel dans lequel Lee Miller s’est plongée est propice à l’épanouissement artistique. Mais cela suffit-il ? Au terme de cette exposition, j’ai l’étrange sentiment que l’art de Lee Miller doit une large part de sa reconnaissance à la célébrité des artistes qui entouraient la photographe.
Il convient donc de noter la remarquable initiative du Boston Globe, qui publie régulièrement des reportages photos en grand format. Le principe : prendre le contre-pied de la tendance au tout-texte illustré d’une modeste image d’agence vue mille fois pour proposer un point de vue photographique de l’actualité ; grande photo et petit texte. Les photos sont pour la plupart signées Getty Images, AFP ou Reuters.
Guerres, aventure spatiale, nature… tous les sujets sont couverts. Ouvrez grand les mirettes, ça fait l’effet d’un grand bol d’air !
J’aurais aimé vous parler des estampes de Katsushika Hokusai au musée Guimet, des 36 vues du mont Fuji, de la célèbre « grande vague », de la poésie qui se dégage des tons pastels lorsque des paysans frêles luttent contre le vent. Lire la suite de l’article →
Il suffit parfois d’un rien pour saupoudrer une sombre journée d’hiver d’une pincée de magie. Pour moi, ça a commencé lorsque Jérôme est entré chez moi en fin d’après-midi, un tas de photos sous le bras. Connaissant le garçon et son projet, je savais que je ne serai pas déçu.
C’est un travail très émouvant que j’ai découvert. Des images esthétiques, mais pas au point de tuer la force du sens ; de la sensibilité, mais pas de sensiblerie. Une prouesse toute à l’honneur du photographe qui, ayant passé deux mois en immersion parmi les junkies des bas fonds athéniens, aurait pu se laisser gagner par un excès d’empathie.
Jérôme a aussi tenu un très bon « journal de bord » ; une pièce essentielle dans le travail d’assimilation que doit faire le spectateur. Si les photos se suffisent à elles-mêmes, ce journal pousse les limites du cadre et laisse transparaître un hors champs dans lequel les doutes et les questionnements du photographe servent de guide au spectateur tenté de créer des raccourcis hâtifs entre travail d’immersion et voyeurisme « pipolisatoire ».
Petite précision : en France, seul Rue89 a accepté de publier ce reportage (sous forme de diaporama), les autres rédactions jugeant ce travail trop dur pour les lecteurs.
A titre personnel, cet énième réaction de la part des rédactions conforte mon impression d’une inexorable dégradation de l’information qui sévit dans les médias français, dont la ligne éditoriale est tenue d’une main de fer par l’indéboulonnable et autoritaire « ménagère de moins de 50 ans ».
Chroniques de l’héroïne à Athènes
Jérôme Barbosa
Chroniques de l'héroïne à Athènes - Jérôme Barbosa
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