Laser Apollon : rencontre avec un milliard de soleils
Visiter les locaux d’Apollon, le futur rayon laser le plus puissant du monde est une expérience pour le moins déroutante. Installé au CEA, dans les murs de l’ancien accélérateur linéaire du site de Saclay, on y accède en poussant la petite porte d’un hangar désaffecté perdu dans la campagne rase et venteuse du sud de l’Ile-de-France.
Derrière la tôle ondulée, un sinistre escalier de service métallique nous entraine à presque 7 mètres sous terre face à deux immenses blocs en béton armé recouverts de peinture rouge écaillée. Ils font 5 mètres de côté, pèsent 150 tonnes, et semblent posés sur une curieuse crémaillère… voici les « portes bouchon » servant à condamner les issues de l’installation et à protéger l’environnement des rayonnements produits par le laser lorsque celui-ci est en service. Allons-nous donc visiter le rayon de l’Etoile Noire ? « Presque, glisse Pascal Monot, chercheur au CNRS, un sourire en coin. Ce laser est conçu pour provoquer un tsunami de puissance ». Devant nos sourcils froncés, Pascal Monot ajoute cette précision : « Au moment de l’impact, l’intensité lumineuse concentrée sur une infime surface sera d’un million de milliards de fois celle du soleil».
Petit pincement au cœur au moment en passant devant les portes. Et si les bouchons se mettaient à glisser sur leur crémaillère ? Après avoir revêtu des habits de protection, nous pénétrons dans le bunker scientifique. Le contraste est saisissant. Murs blancs, portes étanches, matériaux imputrescibles, gestion des flux d’air… tout respire la high-tech et donne le sentiment de se trouver dans une base secrète de l’armée. Mais la raison de ce luxe de précautions révèle l’obsession des équipes d’Apollon pour la poussière. D’ailleurs, chaque compartiment se trouve en surpression par rapport au précédent de manière à évacuer les particules vers l’extérieur.
« Si une particule se déposait sur une lentille ou un miroir, celui-ci brûlerait avec la particule et le rayon serait dévié, entrainement une réaction en chaine », précise François Amiranoff, le directeur de recherche au CNRS du laboratoire Luli et coordinateur du Cilex. Je comprends maintenant pourquoi Dark Vador porte un masque.
Je me trouve devant une table garnie de lentilles et de miroir. Un joyeux bazar… en apparence. Chaque pièce est positionnée au micron près. Et pas question que l’installation brangeole comme un appartement d’étudiant un vendredi soir. Non seulement les 4800m² de l’installation sont posés sur une dalle de béton de deux mètres d’épaisseur (les murs en font cinq), mais en plus les tables de support reposent sur des amortisseurs.
Lentilles en Saphir-Titane
Ce gigantesque réseau de lentilles et de miroirs a pour but d’amplifier le rayon lumineux jusqu’à la puissance de 10 PW (un million de milliards de watts). Pour ce faire, le faisceau pilote, de faible énergie, parcourt des centaines de mètres au sein de différents réseaux et chambres de compression. L’impulsion de départ, de l’intensité d’une ampoule classique, est d’abord étirée temporellement pour atteindre une nanoseconde, puis amplifiée pour atteindre 300 joules, et enfin recomprimée temporellement à 15 femtosecondes. C’est cette dernière recompression qui donne au faisceau laser sa puissance finale, un peu comme la brièveté du mouvement donne sa force à une gifle.
Après amplification, le faisceau atteint environ 40 centimètres de diamètre et possède une telle intensité qu’il est désormais capable de faire exploser l’atmosphère en arrachant tous les électrons des molécules rencontrées. C’est pourquoi les chambres de compression ainsi que le chemin optique sont maintenus sous vide.
Au final, le faisceau est focalisé en un point minuscule allant du millimètre au micromètre. C’est le tsunami de puissance dont parlait Pascal Monot. Aujourd’hui, le budget total de l’installation se porte à 50 millions d’euros, ce qui permet à Apollon de ne tirer « qu’à » une puissance de 5 PW (150 joules). L’étage supplémentaire lui donnant sa puissance finale est en court de financement. Mais il est d’ores et déjà loin devant PETAL, à Bordeaux, et LFEX, à Osaka, qui atteignent respectivement 1,2 et 2 PW.
Mais à quoi une telle installation peut-elle bien servir ?
Avec Apollon, les chercheurs espèrent explorer de nouveaux champs de la physique. Dans le domaine de l’astrophysique d’abord en reproduisant les conditions extrêmes des manifestations qui se produisent dans l’univers, comme les supernovae ou les sursauts gamma. La brièveté de l’impulsion portée à quelques attosecondes (un milliardième de milliardième de seconde) pourrait aussi permettre de « radiographier » la matière avec une précision inégalée car on atteint là la vitesse de rotation des électrons autour de leur noyau. Les physiciens du vide se montrent aussi très intéressés car, en frappant les paires de particules virtuelles qui peuplent le vident avec une durée de vie très courte (10-21 seconde) de toute sa puissance, ils espèrent les forcer à devenir réelles.
Plus concrètement, le milieu médical pourrait un jour profiter du travail d’Apollon, notamment dans le traitement des tumeurs cancéreuses (protonthérapie) et un espoir réside dans la réduction de la durée de vie des déchets nucléaires. A terme, ces gros lasers pourraient remplacer les accélérateurs de particules.
Lorsque le laser est apparu sur le marché dans les années 60, on ne savait pas trop quoi en faire à part des travaux de découpe et des armes mortelles dans les films de science-fiction. Aujourd’hui cette technologie encore jeune se niche dans nos lecteurs dvd, dans l’industrie, dans l’armement, la recherche archéologique, la médecine, le bricolage, ou encore dans l’acheminement de nos communications internet. Sans compter toutes les découvertes à venir.