L’épopée d’une crevette autonome
Fermement accroché au trainard, la tête maintenue sous l’eau par la vitesse, je ne distinguais que les palmes de Christian à travers le nuage de bulle qui m’enveloppait. Je devinais derrière moi les difficultés que rencontrait Anne, en panne d’air, pour se maintenir hors de l’eau. J’espérais silencieusement qu’elle attraperait mon détendeur de secours, mais nous ne pouvions rien faire d’autre que de nous agripper tant bien que mal à la corde lisse et attendre que tout cela s’arrête enfin.
Paris, vendredi 17 mai 2013. Je me suis levé tôt pour rejoindre Philippe place de la République. Après un dernier coup d’oeil sur ma check-list pour m’assurer que toutes les cases sont cochées, je quitte l’appartement, trainant derrière moi une valise de 20kg, dont à peine 500 grammes de vêtements personnels… Nous avons décidé de partir tôt pour profiter de la soirée. Direction Camaret-sur-mer, au bout du bout de la Bretagne.
Sous nos roues, le bitume se déroule inlassablement tandis que les éclaircies succèdent aux nuages porteurs d’averses. Dans l’habitacle, nous révisons notre biologie marine et nous entrainons à faire des noeuds. Anne me montre ses photos de voyage en mer rouge. Douces images de farniente au soleil alors que nous filons vers un objectif bien différent : passer avec mes camarades du Subaqua Club de Paris l’examen du niveau 2 de plongée dans une eau verdâtre dont la température atteint péniblement les 12°C…
17h24. Philippe stoppe la voiture sur le port au pied du club de plongée Léo Lagrange. Premiers arrivés sur les lieux, nous investissons rapidement les chambres qui nous ont été allouées et remplissons les casiers dédiés aux affaires de plongée. J’en profite pour tirer mon chapeau à l’organisation impeccable du séjour par Maylis, Matthieu et Michel. Une fois ce premier tri effectué, nous nous posons enfin face à la mer avec une bonne bière. Les autres participants au séjour nous rejoignent par grappes. Peu à peu, le soir embrase le ciel.
Une mélodie criarde traverse mes boules Quiès. J’ouvre les yeux, Essaid, mon compagnon de chambrée attrape son téléphone et coupe le réveil. Il est 7h00 du matin. Nous tirons les rideaux pour découvrir un magnifique lever de soleil. Le vent fait doucement tinter les haubans des bateaux à voile contre leur mât. Nous sautons dans nos vêtements pour retrouver nos camarades autour d’un petit déjeuner. Certains arborent une mine terreuse. En cause une arrivée aux alentours d’une heure du matin. Mais cela n’empêchera personne de répondre présent pour la prise du matériel à 8h15. La météo est au beau fixe, les combinaisons sont sèches et chaudes, tout le monde prend ses marques en rigolant… Plus tard, certains feront une autre tête quand il s’agira de se faufiler dans une combinaison mouillée et gelée… Mais c’est une autre histoire. Je saute dans ma combinaison et nous filons sur le bateau. Direction, la Pointe Tremet pour une plongée de réadaptation. J’en ai bien besoin car ma dernière expérience remonte à Saint-Malo, deux mois auparavant et je ne suis plus habitué à l’eau chaude.
Notre palanquée est constituée de Christian, Anne et moi. Un saut droit et nous voilà partis. Première surprise, la visibilité est très bonne. Je m’attendais à une simili-plongée de nuit comme à Larmor l’année précédente, mais on distingue parfaitement le fond, la faune et la flore, et nous ne sommes même pas obligés d’avancer à touche-touche de crainte de nous perdre. Bref, c’est presque la mer rouge, mais en vert ! Autre point positif, les difficultés de palmage rencontrées à Saint-Malo se sont envolées. Il faut dire que cette fois j’ai pris des palmes un peu plus grandes et j’ai ajouté des plombs de cheville.
Le retour sur le bateau est aussi positif car, en dehors du fait que nous revenons en capelé (le capelé en étanche, une aventure en soi…), j’ai retrouvé ma consommation habituelle d’une petite centaine de bars. A mettre en balance avec les 190 bars de conso lors de ma formation à l’étanche…
Après le déjeuner, retour aux vestiaires pour gréer le matériel et remettre les combinaisons, humides et froides. J’admire sincèrement mes compagnons qui vont effectuer cette opération six fois de suite au cours du séjour. Direction cette fois un site nommé Basse Beuzec. Un joli site d’exploration, mais nous n’en profiterons pas car la rigolade est terminée ; place à l’évaluation, place aux remontés assistées. Au sein de notre palanquée, nous en effectuerons deux chacun. Première difficulté, s’adapter à la perte des repères. Ici, pas question de vérifier le carrelage de la fosse de plongée pour déterminer sa vitesse. Non, entre soi et le grand mur vert de l’océan, une myriade de particules et de bulles en tous sens faussent le jugement. De plus, il n’y a plus de paroi pour renvoyer l’écho de l’alarme de l’ordinateur que nous n’entendons plus. Et je dois de surcroît faire un peu plus attention à la purge de mon étanche car mon gros sous-vêtement piège l’air bien plus que ce que je ne croyais.
Retour en capelé ? Non, en ski nautique !
En fin de plongée, nous émergeons tranquillement et apercevons le bateau… loin, loin… Autour de nous, des parachutes percent la surface encore plus loin… Soudain, l’annexe du bateau arrive sur nous à toute vitesse et le pilote nous crie « accrochez-vous ! ». Nous saisissons le trainard fermement et entamons un retour pour le moins mouvementé. Pendant tout le trajet, une question se pose à moi : « mais pourquoi n’y a-t-il pas de noeuds à cette corde ? ». Derrière moi, Anne est en panne d’air et ne parvient pas à attraper mon détendeur de secours. Bien que relativement court, le voyage nous paraît pour le moins interminable et nous laisse quelques souvenirs musculaires. Sur le pont, Essaid, hilare, nous accueille les uns après les autres en se payant notre tête. De quoi redonner instantanément le sourire 😀
L’apéro est le bienvenu pour nous remettre de nos émotions. La petite bière se laisse boire, de même que le ti’punch qui s’est insidieusement glissé dans nos verres. Et puis quelqu’un a remplacé l’eau du repas par du vin… Et pour finir, le Fest-noz qu’un gentil camarade nous a dégoté n’était pas mal pourvu non plus…
L’effet snoz
7h00 du matin. Un bruit strident me vrille les tympans. Essaid se lève d’un bond : « Debout là-dedans ! » Son appel rebondit dans ma boite crânienne. La journée commence par un jus de fruit, une barre au front et deux cachets de paracétamol. Haut les coeurs ! Aujourd’hui, je plonge avec François comme moniteur et Paul, qui prépare son niveau 4. Programme du matin, remontées assistées sur panne d’air et parachute de palier. Nous débutons par une magnifique et interminable bascule arrière. Le plat-bord tribord du bateau étant assez haut, l’astuce est de profiter du moment où le navire gite du bon côté pour se lancer et éviter de taper la coque. Un petit looping et hop, à la flotte. Mon mal de crâne s’évanouit au moment ou l’eau s’infiltre dans ma cagoule et me rafraichit.
Nous nous posons sur un banc de sable parsemé de milliers d’ophiures. Un spectacle magnifique que nous devrons rapidement abandonner pour nous adonner à nos exercices. Une fois ma remontée terminée, vient le tour de Paul. Préparant le niveau 4, il doit réaliser une DTH (démonstration technique avec handicap). Il s’agit de remonter une personne syncopée depuis le fond uniquement à la force des palmes. A genoux aux milieu de mes ophiures, je regarde François mimer une syncope et lâcher son embout. A travers le voile laiteux qui nous enveloppe, j’aperçois Paul se saisir de François par le dos, le soulever du sol pour lui remettre le détendeur en bouche. Puis, dans ce qui m’apparaît être un décollage de fusée spatiale, Paul s’élève majestueusement d’un magnifique et ample coup de palme. Je devine la force et la puissance que ce geste exige. Paul termine l’exercice au bord de l’essoufflement.
A peine ai-je sorti la tête de l’eau que, dans un même mouvement, j’enlève mon détendeur et je vomis. Déjà, à partir de 5 mètres, mon mal de crâne m’avait repris, beaucoup plus violent qu’avant. Aux petits soins, François suspecte une intoxication au CO2. J’ai en effet eu recours à des apnées répétées pendant les remontées. Je vais me trainer un mal de mer incroyable jusqu’à l’arrêt complet du bateau au port. Une petite sieste après le déjeuner me remettra complètement sur pied ! De quoi être beaucoup plus à l’aise durant les exercices de l’après-midi. Mais… je tournerais à l’eau et au jus de fruit pour la journée.
Au retour de cette plongée, un briefing général nous attend dans la grande salle. C’est le rendu des copies de l’examen théorique. L’occasion pour certains d’entre nous de revoir et d’approfondir certains points. Nous y trouvons aussi un moment de détente bienvenu.
De nouveaux repères
Lundi, 7h00 du matin. Je suis réveillé depuis 10 minutes, frais et dispo. Essaid et moi arrivons les premiers pour le petit-déjeuner. Comme à son habitude, Essaid se fait un devoir, et surtout un plaisir, de réveiller les chambrées. Après un petit déjeuner copieux, je retourne dans la chambre pour enfiler la doudoune incroyablement confortable qui me sert de sous-combinaison et descends pour gréer le matériel. J’enfile tranquillement ma combinaison avant de prendre le chemin du bateau. Sur la jetée, j’apprends que je plongerai en semi-autonomie. Jérémy sera mon binôme et Fabienne notre monitrice « fantôme ». C’est donc le signe que nos remontées ont été jugées satisfaisantes.
Sur le bateau, nous nous adonnons à un jeu de rôle qui consiste à prendre connaissance de son binôme afin d’ajuster les paramètres de plongée. Je commencerai comme guide de palanquée et Jérémy prendra les rênes à 120 bars. Plouf ! Rendez-vous au mouillage et nous descendons. Nous sommes toujours en évaluation, mais la pression a complètement disparu. Je me sens libre, détendu, je prends le temps de m’attarder sur un trou, une araignée. Avec l’autonomie, de nouveaux automatismes apparaissent naturellement. Celui de se retourner régulièrement pour reconnaitre la topographie par exemple. Ce qui permet aussi de faire des découvertes. Mais aussi d’espacer naturellement les demandes de pression à son binôme aussi car le petit coup d’oeil pour voir si tout va bien devient naturel.
Je ressors enchanté de cette première prise de contact avec l’autonomie. Une expérience que je vais renouveler pour la dernière plongée car nos diplômes nous sont remis dès le déjeuner par Christophe, notre président, et nos certifications enregistrées sur le site de la fédération en temps réel par Philippe. Une travail conséquent qui va nous permettre de partir en réelle autonomie dès l’après-midi.
Comme un air de liberté
Cette fois, c’est la bonne. Notre président nous encourage en nous demandant de mourir si possible après son départ, ce qui est plutôt sage. Je vais tâcher de suivre son conseil le plus longtemps possible. Cette fois, j’emporte l’appareil photo. Nous descendons. En bas, nous relevons nos paramètres de pression, définissons un cap et partons, seuls. Je flâne, nous croisons une vieille qui se ballade aussi nonchalamment que nous. Au retour, nous tombons pile sur le mouillage, la seule fois du week-end. Ne me faites pas dire pour autant que nos moniteurs ont des soucis d’orientation 😉
Nous profitons d’un petit palier de principe à trois mètres pour faire les idiots. La liberté est grisante, nous la goûtons, nous retardons la sortie. Et pour la première fois, c’est à nous que le directeur de plongée demande les paramètres, et pour la première fois, je les ai immédiatement en tête, comme ça, sans stresser, sans contrainte.
Philippe a aussi réalisé un film qui retrace les nouvelles sensations de nos amis Agnès, Adel, Daniel et Jacques qui effectuaient leurs premières bulles et dont il se dit qu’ils sont plutôt bons 😉
Pour le fun, par ce que ça ne sert à rien, mais que c’est un beau souvenir personnel, voici la courbe de cette première plongée en autonomie. En attendant toutes celles qui ne sont pas encore tracées…
Vraiment super! Bravo!
Amitiés Pierre
Quel talent de conteur et quelle belle écriture ! Bravo
Blandine
Fidèlement et très joliment relaté. Bravo
Magnifique! Merci de nous faire participer à cette sortie par procuration!
J’adore !
incroyable si avec un article pareil nous ne recrutons pas de nouveaux plongeurs, c’est peine perdue !
bravo, il y a du talent mais aussi beaucoup de professionnalisme et surtout du temps passé…
Bravo! Très bien écrit et raconté, c’est un vrai plaisir de lire l’épopée!
Merci beaucoup à vous tous 😀